Ciências Humanas e Sociais
Conversa com Sylvie Tissot sobre o livro Les Mots sont Importants e a retórica reaccionária ( dia 24 de Julho, na Galeria Zé dos Bois/Letra Livre)
Sylvie Tissot, socióloga, investigadora e activista do colectivo «Les Mots Sont Importants» vai estar no próximo Sábado na Galeria Zé dos Bois para nos falar do seu colectivo e dum livro recentemente publicado de que é co-autora.
Esta obra é fruto de 10 anos de trabalho realizado pelo colectivo «Les Mots Sont Importants». Ali se fala das sondagens falsamente neutras, dos editoriais agressivos que nos procuram dar lições, da verdade orientada, das indignações públicas com geometria variável (segundo alguém é poderoso ou miserável, branco ou negro, católico ou muçulmano), das invenções do léxico, das evoluções ideológicas inquietantes e, enfim, da radicalização e da "descomplexização" do racismo, do sexismo e dos privilégios de classe.
A tradução estará a cargo de Georges militante da CNT-Paris. A iniciativa organizada pela Tertúlia Liberdade tem o apoio da Livraria Letra Livre.
Participa e divulga
SÁBADO 24 DE JULHO ÀS 21 HORAS
LIVRARIA LETRA LIVRE - GALERIA ZÉ DOS BOIS
RUA DA BARROCA, 5 (BAIRRO ALTO)
Tertúlia Liberdade http://tertulialiberdade.blogspot.com/
Blogue do colectivo «Les Mots Sont Importants» http://lmsi.net/
«Les mots sont importants» fala-nos da retórica reaccionária que impregna a linguagem e o discurso dominante. Um livro sobre a eufemização da violência dos dominantes (Estado, patronato, patriarcado, heterossexualidade, etc) e a hiperdiabolização da violência do dominados.
Sylvie Tissot, co-autora do livro Les mots sont importants, é socióloga e investigadora na Universidade Marc-Bloch em Strasbourg. Faz parte também do colectivo Les mots sont importants. Entre outros títulos destaca-se o seu livro L’Etat et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Seuil, 2007
« LES MOTS SONT IMPORTANTS » : RETOUR SUR 10 ANNÉES D’ANALYSE DES DISCOURS - 2000/2010.
Reprodução do texto publicado AQUI
Des sondages faussement neutres et vraiment orientés, des éditoriaux agressifs et donneurs de leçon, des bavures médiatiques, des indignations publiques à géométrie variable (suivant que vous serez puissant ou misérable, blanc ou noir, catho-laïque ou musulman), des inventions lexicales faussement bienveillantes (comme la mixité ou la diversité) ou franchement malveillantes (comme le communautarisme et la repentance), des évolutions idéologiques inquiétantes (la lepénisation, le « sarkozysme », l’« islamophobie » et ses déclinaisons faussement « laïques-et-féministes »), et enfin la radicalisation et la « décomplexion » du racisme, du sexisme et du mépris de classe : tels sont les principaux sujets qu’aborde le recueil de Sylvie Tissot et Pierre Tevanian, Les mots sont importants - 2000/2010, qui vient de paraître aux Editions « Libertalia » et qui résume en trente textes dix années de critique sociale.
Ce livre rassemble trente textes issus de dix années de travail au sein du Collectif Les mots sont importants. À côté des raisons biographiques ou sociologiques qui expliquent notre intérêt pour le langage et notre goût pour la critique, les raisons politiques qui nous ont poussé à investir le champ de la critique du langage et plus spécifiquement de la langue des dominants, n’ont au fond rien d’original ni de nouveau. Georges Orwell, dès les années 1940, les expliquait avec force :
À notre époque, les discours et les écrits politiques sont pour l’essentiel une défense de l’indéfendable. Des événements comme la continuation de la domination britannique en Inde, les purges et les déportations en Russie, le lancement de la bombe atomique sur le Japon, peuvent bien sûr être défendus, mais seulement avec des arguments que la plupart des gens ne peuvent pas reprendre à leur compte, et qui ne s’inscrivent pas dans les buts professés par les partis politiques.
Ainsi le langage politique consiste-t-il pour une grande part en euphémismes, pétitions de principe et pure confusion. Des villages sans défense sont bombardés par l’aviation, les habitants sont chassés vers la campagne, le bétail est passé à la mitrailleuse, les maisons sont incendiées : on appelle cela pacification. Des millions de paysans se font voler leur ferme et sont jetés sur les routes avec pour seul viatique ce qu’ils peuvent porter : on appelle cela transfert de population, ou rectification de frontière. Des gens sont emprisonnés pour des années sans jugement, ou abattus d’une balle dans la nuque, ou envoyés mourir du scorbut dans les camps de bûcherons de l’arctique : on appelle cela élimination des éléments suspects. Une telle phraséologie est nécessaire pour susciter les images qui leur correspondent.
Prenez par exemple un professeur anglais qui vit à l’aise et qui défend le totalitarisme russe. Il ne peut dire d’un trait : « je crois qu’il faut tuer ses adversaires toutes les fois qu’on peut en tirer un résultat profitable ». Par conséquent, il dira plutôt quelque chose de ce genre : « Tout en concédant volontiers que le régime soviétique affiche certains traits que les humanistes sont enclins à déplorer, nous devons, je pense, reconnaître qu’une certaine restriction du droit de l’opposition politique est un corollaire inévitable des périodes de transition, et que les rigueurs avec lesquelles le peuple russe a été confronté ont été amplement justifiées dans la sphère des réalisations concrètes [1] ».
Le fait qu’Orwell ait ciblé son travail critique sur des régimes totalitaires ou coloniaux et que nous nous consacrions pour notre part à des contextes démocratiques et post-coloniaux ne change pas fondamentalement l’enjeu, bien au contraire : plus un régime se dit démocratique et égalitaire, plus il doit légitimer la violence qu’il exerce et l’ordre inégalitaire qu’il instaure. Quant au rôle politique de plus en plus important que jouent les images du fait de l’essor et de la quasi-hégémonie des médias audiovisuels, s’il appelle en réponse une attention critique spécifique aux choix d’images, à leur cadrage et à leur montage – celle d’un Serge Daney, par exemple [2] – il n’annule pas, loin s’en faut, la centralité du langage dans la sphère du combat culturel et idéologique. Pierre Bourdieu l’a souligné :
« En fait, paradoxalement, le monde de l’image est dominé par les mots. La photo n’est rien sans la légende qui dit ce qu’il faut lire – legendum –, c’est-à-dire bien souvent des légendes qui font voir n’importe quoi. Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est créer, porter à l’existence. Et les mots peuvent faire des ravages : islam, islamique, islamiste – le foulard est-il islamique ou islamiste ? Et s’il s’agissait d’un fichu, sans plus ? Il m’arrive d’avoir envie de reprendre chaque mot des présentateurs qui parlent souvent à la légère sans avoir la moindre idée de la difficulté et de la gravité de ce qu’ils évoquent et des responsabilités qu’ils encourent en les évoquant, devant des milliers de téléspectateurs, sans les comprendre et sans comprendre qu’ils ne les comprennent pas. Parce que ces mots font des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses. [3] »
Il est dès lors assez indifférent, du point de vue de notre travail, que les discours critiqués émanent de la presse écrite, de la radio ou de la télévision – cela d’autant plus que c’est la même langue qui s’y exprime… et souvent les mêmes locuteurs : ces fameux « éditocrates » [4] (Alain Duhamel, Laurent Joffrin, Jacques Attali, Bernard-Henri Lévy, Alexandre Adler, Christophe Barbier, Nicolas Baverez, Caroline Fourest, Jacques Marseille, Jacques Julliard, Philippe Val et une poignée d’autres) qui sont devenus, que nous le voulions ou non, les ténors de l’air du temps.
Il serait bien entendu abusif d’envisager de manière trop massive la langue des grands médias, en méconnaissant son hétérogénéité : même si la soumission à l’ordre établi demeure en tout lieu la règle, et même si l’on peut affirmer que tous les grands médias promeuvent pour l’essentiel une langue normalisée et appauvrie, une certaine hétérogénéité se manifeste toutefois. D’abord entre des médias populistes comme « TF1 », « RTL » ou « Le Parisien », qui propagent une version pauvre, caricaturale et édulcorée de la culture populaire : la culture de masse – avec son avatar linguistique : une langue de masse – et des médias élitistes comme « Le Monde », « Le Nouvel Observateur », « France Culture » ou « Arte », qui cultivent davantage la distinction et la cuistrerie. Ensuite entre les programmes de divertissement (jeux, reality-shows, talk-shows sans dimension politique affichée), la fiction, les programmes culturels, l’information, le commentaire politique et les « débats de société ». Du point de vue de la critique de la langue, tous ces types d’émissions méritent une lecture politique même si, de fait, nous concentrons pour notre part l’essentiel de notre attention sur l’information, le commentaire et le débat, en pointant deux langues sensiblement différentes, mais passibles des mêmes critiques :
la langue du journalisme d’information ou d’enquête, dont nous dénonçons la fausse neutralité, la croyance naïve au « fait » et la méconnaissance de sa construction sociale (nous avons par exemple produit plusieurs analyses déconstruisant l’apparente réalité objective du « problème de l’immigration », du « problème des quartiers sensibles », du « problème de l’insécurité » et du « problème du voile à l’école », ou encore la fausse évidence, considérée comme acquise dans la plupart des reportages, d’une augmentation et d’une spécificité banlieusarde et « arabo-musulmane » des violences sexistes).
La langue du commentaire autorisé, désormais rebaptisé « décryptage », dont nous dénonçons la fausse impartialité en mettant à jour leurs partis-pris implicites, leurs points aveugles et leurs présupposés idéologiques.
Nous avons retenu ici trente textes, regroupés en sept thématiques. Un premier chapitre, intitulé « Poupées ventriloques », analyse à partir d’exemples précis la manière dont la parole populaire est confisquée par ceux-là même qui prétendent la recueillir et la publiciser : les éditorialistes armés de sondages qui font dire à « l’opinion publique » absolument tout ce qu’ils veulent. Le chapitre suivant, « La France d’en bas vue d’en haut », s’intéresse à la manière dont ces mêmes éditorialistes, populistes lorsque le peuple opine sagement aux « inquiétudes » et aux « réformes » que lui ont concoctées les sondeurs, deviennent tout à coup anti-populistes à chaque fois qu’émerge une expression populaire authentique et autonome : la grève, l’émeute ou cette émeute électorale que fut la victoire du Non au référendum européen de 2005. Dans ces moments incontrôlés où les élites ne parviennent plus à « parler le peuple », le commentaire politique autorisé change de registre et parle du peuple – en des termes révélateurs d’un profond mépris de classe.
Ce qui est en question dans ces deux chapitres est en somme la distribution de la parole : qui est sujet du discours autorisé, qui n’est qu’objet ? Bref : qui parle de qui ? On l’oublie trop souvent : les rapports du pouvoir s’expriment sur le plan linguistique autant que sur le plan politique, économique ou social. Le dominant est entre autres choses celui qui a la parole tandis que le dominé doit sans cesse la conquérir. Quand le second doit se battre non seulement pour avoir la parole mais aussi et surtout pour être écouté (c’est-à-dire pris au sérieux) et entendu (c’est-à-dire au moins compris, à défaut d’être approuvé), le premier est investi d’une autorité symbolique qui lui donne à peu près toute légitimité à dire à peu près tout ce qu’il veut sur à peu près tous les sujets et sa parole jouit d’une légitimité, d’un intérêt et d’un crédit quasi-naturels. C’est ainsi par exemple que, parallèlement à la domination militaire, politique et économique que la France coloniale a exercé et exerce sur une bonne partie de l’Afrique noire, s’est mis en place un ordre symbolique qui répercute la division sociale du travail sur le terrain linguistique en instituant les Français blancs dans le rôle de sujet ou d’agent d’énonciation tandis que les Africains sont relégués soit au rang d’objet soit à celui de destinataire des discours – c’est ce qu’a illustré sous une forme particulièrement brutale l’ahurissant « Discours de Dakar » de Nicolas Sarkozy [5].
Le troisième chapitre poursuit la réflexion en s’attardant sur le contenu des discours : comment nos clercs, éditorialistes et journalistes parlent-ils du peuple et de ses différentes composantes – immigrés, jeunes des quartiers populaires, lesbiennes, femmes émancipées ? Une même réponse se dégage, au-delà des différences et des nuances : mal. Le discours est mal construit, mal fondé logiquement, mal étayé empiriquement, mauvais en somme d’un strict point de vue technique au regard des exigences du bon journalisme, mais aussi malveillant et malfaisant. Stigmatisation des pauvres et des étrangers, légitimation de la violence économique, raciste, sexiste et homophobe : les raisons sont nombreuses d’intituler ce chapitre « Mauvaises langues, mauvais traitements ».
Cette analyse qualitative du contenu des discours est prolongée dans le chapitre suivant par une perspective quantitative : comment, à quelle échelle et à quelle intensité ces discours autorisés sont-ils diffusés ? Quel bruit médiatique font-ils ? Quelle est leur force de frappe politique ? La signification et les effets sociaux d’un discours dépendent en effet autant de ce qui est dit que de qui le dit et de la manière dont le discours est reçu. Nous soulevons en particulier un effet de quantité particulièrement opérant ces dernières années : la figure du deux poids deux mesures, en particulier dans la manière de publiciser, réprouver et combattre les différentes formes de violence raciste ou sexiste. Toujours au détriment des mêmes…
Le cinquième chapitre resserre encore plus la focale en se concentrant sur des mots. Il porte plus précisément sur ce que Gille Deleuze appelait les gros concepts : ces grands mots d’apparence savante qui ont en commun d’intimider et de servir à ne pas penser. À la fois vides (de sens) et trop pleins (de présupposés et de moralisme), ils forment l’armature de ce qu’Orwell a nommé la novlangue du pouvoir. Alain Bihr en a répertorié un certain nombre, en particulier dans le domaine des discours socio-économique [6], nous en avons retenus quatre, apparus récemment et vite devenus hégémoniques : la mixité sociale et la diversité (coefficientées positivement), le communautarisme et la honte d’être français (coefficientés négativement).
Ironiquement intitulé « Grandes questions », le sixième chapitre vient contester le monopole de l’objectivité et du discours vrai que se sont réservé les clercs de l’ordre dominant, qu’ils soient écrivains, éditorialistes, chargés de cours à Sciences-Po ou histrions télévisuels – ou, comme c’est souvent le cas, tout cela à la fois. Nous y proposons des analyses approfondies qui ont en commun d’aller à contre-courant des interprétations dominantes de divers phénomènes : la lepénisation et les dessous de l’identité nationale, la nature du sarkozysme et les raisons de son succès, les enjeux de la lutte contre le sexisme en banlieue mais aussi la construction-même de cet objet politique très particulier qu’est la banlieue.
Nous avons réuni pour finir plusieurs textes d’intervention sur l’hétérosexisme, et plus précisément sur ses formes machistes et virilistes, telles qu’elles se manifestent dans les hautes sphères de la politique, de la culture et de la communication – ce Gotha qu’on nous présente toujours comme policé et courtois par opposition aux maris violents, jeunes violeurs et autres harceleurs supposés tous d’origine populaire, pas très française et pas très catho-laïque. En épinglant entre autres Julien Dray, Ségolène Royal, Xavier Darcos, Eric Zemmour, Alain Soral, Patrick Buisson et Dominique de Villepin, sans oublier notre petite bite sur pattes nationale, Nicolas Sarkozy, ces textes sont autant d’occasions de rappeler que le sexisme, y compris le plus grossier, est loin d’être l’apanage des gueux et des basanés.
De cet ensemble se dégage, nous l’espérons, un souci qui anime le travail de publication poursuivi depuis dix ans autour du site lmsi.net : contribuer avec bien d’autres collectifs et médias alternatifs, à promouvoir une contre-culture anticapitaliste, antiraciste et antisexiste. Ce travail et ce livre sont dédiés à toutes celles et ceux qui, loin des radicalités aristocratiques, du communisme mondain et des poses prophétiques, s’engagent en pensée, en paroles et en actes, et s’efforcent jusque dans leur vie professionnelle et affective de faire vivre un minimum les mots émancipation, égalité et amitié.
Le livre de Pierre Tevanian et Sylvie Tissot, « Les mots sont importants », est en vente en ligne sur le site des Editions « Libertalia ».
TABLE DES MATIÈRES
Présentation. Pourquoi les mots sont importants
I. Poupées ventriloques
1. La France d’en bas n’est pas « sarkoziste »
2. Le populisme contre le peuple
3. État de l’opinion ou opinion de l’État ?
4. Perdre son honneur ne fait pas gagner les élections
II. La France d’en bas vue d’en haut
1. Le 21 avril : usages et mésusages
2. Un cri de douleur de Serge July
3. Écrire contre la canaille
4. L’école du mépris
III. Mauvais traitements
1. Une bavure médiatique
2. Retour sur une émeute
3. Une nouvelle zone dangereuse : le festival du film féministe et lesbien
4. Beauvoir revisitée
5. Les chemins de la méconnaissance
IV. Deux poids, deux mesures
1. Un négationnisme respectable
2. Une fatwa contre Bové ?
3. Charlie Sarkozy et Nico hebdo
4. Un devoir de réserve à géométrie variable
V. Gros concepts
1. La mixité contre le droit
2. Le repli communautaire : un concept policier
3. Honte d’être français, honte d’être un homme
4. Des jeunes d’origine difficile aux candidats issus de la diversité
VI. Grandes questions
1. Racisme, lepénisme et lepénisation
2. Qu’est-ce que le « sarkozisme » ?
3. Bilan d’un féminisme d’État
4. Aux banlieues, la République reconnaissante
5. Les dessous de l’identité nationale
VII. Grosses bites
1. String, voile et poing dans la gueule
2. Les choses en main
3. Les mains, les couilles et le trou du cul
4. Les couilles de Villepin
5. Travail, Famille, Partouze
Conclusion.
La langue des maîtres et sa fabrique
NOTES :
[1] George Orwell, « La politique et la langue anglaise », in Tels étaient nos plaisirs et autres essais. 1944-1949, Ivrea, 2005.
[2] Cf. notamment Le salaire du zappeur, P.O.L, 1993 et Devant la recrudescence des vols de sac à main, Alea, 1993
[3] Pierre Bourdieu, « Sur la télévision, Raisons d’Agir », 1998
[4] Cf. Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle, Mathias Reymond, « Les éditocrates », La Découverte, 2009
[5] Cf. Achille Mbembe, « L’Afrique de Nicolas Sarkozy ».
[6] Cf. Alain Bihr, « La novlangue néo-libérale », Éditions Pages Deux, 2007
EXTRAIT DU RECUEIL « LES MOTS SONT IMPORTANTS » : RETOUR SUR 10 ANS DE RHÉTORIQUE RÉACTIONNAIRE - 2000/2010. Reprodução do texto publicado AQUI
Après dix ans de travail critique au sein du collectif Les mots sont importants, si l’on doit caractériser à grand traits la langue des maîtres, on peut dire qu’elle repose sur une logique binaire au fond très ancienne, déjà à l’œuvre dans la novlangue totalitaire ou coloniale décrite par Orwell : euphémisation de la violence des dominants (État, patronat, pression sociale masculiniste, hétérosexiste et blanco-centriste), et hyperbolisation de la violence des dominé-e-s... Par Sylvie Tissot, Pierre Tevanian, 15 avril.
Ce double mouvement d’euphémisation / hyperbolisation structure l’essentiel du commentaire politique, mais déteint aussi largement sur la parole prétendument factuelle des journalistes d’information.
EUPHÉMISMES ET HYPERBOLES :
L’euphémisation consiste, étymologiquement, à positiver du négatif. Dans le discours politique, elle consiste essentiellement à occulter, minimiser et relativiser une violence, et ainsi la rendre acceptable :
l’armée américaine ou israélienne bombarde par exemple toute une population : c’est, nous disent les États-majors et la plupart des éditorialistes, mais aussi bien souvent les journalistes d’information, une simple « incursion », ou une « frappe » ;
Un policier abat un jeune homme en fuite d’une balle dans le dos : c’est une simple « bavure » et non un « homicide » ;
La police cogne sur des manifestant-e-s : ce n’est qu’une « intervention musclée » ;
Des contrôles au faciès sont organisés à grande échelle sur l’ensemble du territoire, suivis de rafles, d’enfermement dans des camps et d’expulsions forcées : il ne s’agit que de « maîtrise des flux migratoires », d’ « interpellations », de « placements en rétention » et de « reconduites à la frontière », voire de « rapatriements » ;
Une entreprise organise un licenciement collectif : c’est un « plan social » (terme le plus fréquent) ou mieux encore (mais le terme n’a pas encore été pleinement adopté par les journalistes) un « plan de sauvegarde de l’emploi » ;
Le droit du travail, la protection sociale et les services publics sont démantelés : on ne parle que de « réforme », de « modernisation » ou d’ « assouplissement » ;
le propos raciste tenu par un ministre de l’Intérieur (Brice Hortefeux) dans un lieu public (l’Université d’été de l’« UMP ») est requalifié en « boulette » (M6), « bourde » ou propos « lourdaud » (Libération), « maladresse » ou « dérapage » (Le Monde), autant de termes soulignant finalement son insignifiance ;
Le viol commis par Roman Polanski sur une mineure de treize ans devient une simple « affaire de mœurs », une « relation sexuelle » tout juste malséante, et le fait que la fillette de treize ans sodomisée par le cinéaste ait au préalable été neutralisée par un cocktail fatal de champagne et de métaqualone n’est plus qu’un simple détail, qu’on omet souvent de mentionner.
À cette occultation de la violence des dominants s’oppose comme en miroir une hyperbolisation de la violence des dominé-e-s, ayant pour effet d’une part de disqualifier leur parole, d’autre part de donner à l’oppression le visage plus acceptable de la légitime défense. « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » :
de même, les grévistes qui s’opposent aux « réformes » sont pathologisé-e-s (le mouvement de décembre 1995 fut ainsi qualifié de vaste « épidémie », de « fièvre », de « délire » ou de « crispation », et il en est allé de même du vote victorieux pour le Non au référendum européen de 2005) ou criminalisé-e-s (la grève devient une « prise d’otages », et les brèves séquestrations de patrons des « violences », voire des « actes terroristes ») ;
les sans-papiers sont rebaptisés « irréguliers » ou « clandestins », et systématiquement associés à des « filières maffieuses » (alors que l’immigration dite irrégulière, clandestine ou sauvage n’était, avant la fermeture des frontières, qu’une « immigration libre », dans la langue même des cabinets ministériels) ;
Les foulards deviennent des « voiles islamiques » voire « islamistes », ou des « tchadors » ;
Et les victimes de crimes policiers s’avèrent, suivant la formule consacrée, « bien connues des services de police » (y compris lorsque leur casier judiciaire est vierge) ;
La résistance palestinienne ou irakienne est réduite au rang de « terrorisme », la critique d’Israël devient un « antisémitisme » et celle de la suprématie blanche un « racisme anti-Blancs » ;
Les féministes deviennent des « hystériques » animées par « la haine des hommes » et les militant-e-s homosexuel-le-s des « nantis du Marais », leur résistance à l’ordre hétérosexiste est appelée « tyrannie du politiquement correct », et la dénonciation publique du racisme, du sexisme ou de l’homophobie des dirigeants politiques ou des grands éditorialistes devient un « lynchage médiatique » ou une « police de la pensée » ;
Quant aux alternatives à l’orthodoxie économique ou politique, elles sont systématiquement qualifiées d’ « angéliques », d’ « irréalistes » ou d’ « irresponsables ».
On retrouve ce dispositif de dépolitisation-psychologisation-pathologisation-criminalisation à propos des émeutes des trente dernières années, des Minguettes à Villiers-le-Bel en passant par Vaulx-en-Velin, Mantes-la Jolie ou Clichy-sous-Bois : le contexte général de précarité sociale et de discriminations, comme la violence policière qui les déclenche, passe systématiquement au second plan, l’injustice sociale est euphémisée sous le nom de « malaise » ou de « mal-être », la responsabilité des classes dirigeantes est du même coup dissipée, les quartiers populaires sont rebaptisés « quartiers sensibles » ou « zones de non-droit » – et les révoltes deviennent du même coup de pures et simples « violences urbaines », dès lors justiciables d’un traitement strictement policier et non socio-politique.
Plus généralement, que l’oppression soit strictement économique ou à dimension raciste ou hétérosexiste, toute énonciation du tort subi par l’opprimé-e s’expose à la pathologisation, sous le nom commode de « victimisation » – avec cet effet paradoxal : c’est au moment même où, cessant d’être de pures victimes, passives et muettes, les intéressé-e-s deviennent acteurs et actrices, en prenant la parole et en nomment le tort subi, qu’ils et elles se voient reprocher de se réduire et de se complaire dans un statut de victime.
Un paradoxe analogue est à l’œuvre dans une autre invention langagière récente, qui a connu un immense succès dans le débat médiatique, au point de devenir également une catégorie d’analyse spontanée pour les journalistes d’enquête : le « communautarisme ». C’est en effet au moment où des citoyen-ne-s discriminé-e-s et relégué-e-s (banlieusard-e-s, racisé-e-s, femmes, homosexuel-le-s, lycéennes et étudiantes voilées…) s’unissent pour demander à être traités comme les autres, au moment où ils et elles demandent à rejoindre les autres dans des territoires, des univers sociaux ou des modes de vie qui leur sont interdits (les centre-ville, les lieux de loisir, le travail qualifié, le mariage et la parentalité, l’école publique, le monde associatif et politique, les postes de pouvoir), qu’on les accuse de se particulariser, de se replier sur eux-mêmes et de diviser la société française.
Le partage des rôles entre « modérés » et « extrémistes » (ou « radicaux », ou encore « intégristes ») obéit lui aussi à une logique binaire et étroitement politique : pour ce qui concerne les musulmans par exemple (mais pas seulement), qu’il s’agisse des individus, des groupes politiques ou des États, les « extrémistes » ne sont pas ceux qui exercent les violences les plus extrêmes ni ceux qui professent les thèses les plus irrationnelles, les plus réactionnaires ou les plus intolérantes, mais ceux qui demeurent les plus indociles face aux décrets des grandes puissances – et à l’inverse un-e musulman-e français-e acquiert son brevet de « modération » en clamant son soutien à la loi anti-foulard, un-e Palestinien-ne en acceptant ou en devançant les directives israéliennes ou étasuniennes, un-e Irakien-ne ou un-e Afghan-e en acclamant l’occupant américain… et l’État Saoudien en demeurant un partenaire économique et diplomatique de « l’Axe du Bien ».
LUTTE DES CLASSES ET GUERRE DES MOTS
Si la structure binaire euphémisation / hyperbolisation est aussi simple, pauvre et immuable, le contenu des discours ne cesse en revanche d’évoluer. Le champ des médias dominants n’est en effet pas un espace homogène et autonome, ni même une simple caisse de résonance du pouvoir dominant. C’est plutôt un champ de luttes, même s’il est loin d’être neutre : bien que structurellement lié aux dominants, ce champ n’est pas une machine toute-puissante capable d’écraser toute parole singulière, déviante ou contestataire. C’est au contraire un appareil contesté, bousculé, qui doit en permanence recomposer ses outils, notamment rhétoriques, en tenant compte des contre-discours qui le prennent d’assaut.
Il arrive en effet que des mouvements sociaux – novembre 1995, le mouvement des sans-papiers, les émeutes de novembre 2005 ou, sous une autre forme, le succès du Non au référendum européen de mai 2005 – bousculent l’agenda gouvernemental sur lequel ces médias calent leur propre agenda, et fassent irruption dans les JT et les débats auxquels ils n’étaient pas conviés, et le rapport de force est parfois tel que la parole contestatrice s’impose – non seulement en tant que parole autorisée à prendre part au débat, mais parfois aussi comme parole vraie, suffisamment pertinente en tout cas pour imposer aux journalistes une réforme de leur vocabulaire :
C’est ainsi par exemple que des mots comme exploitation ou souffrance au travail réapparaissent parfois ;
C’est ainsi que les « clandestins » sont redevenus, après le mouvement de Saint Bernard, des « sans-papiers » ;
C’est ainsi que le concept d’ « intégration » a fini par être disqualifié et que les journalistes les plus soucieux de « coller à leur époque » ont fini par s’intéresser plutôt à la discrimination.
Et à chacune de ces conquêtes linguistiques – comme il y a des conquêtes sociales – répond un contre-feux :
à la demande d’égalité portée en 1983 par la Marche du même nom (significativement rebaptisée Marche des Beurs) a répondu (au niveau étatique mais aussi, quasi-immédiatement, dans la langue des journalistes) la promotion de l’« intégration », promesse d’une inclusion écartant la question de l’égalité ; et lorsque ce mot intégration s’est avéré usé, lorsque sa critique a fini par le disqualifier partiellement et lorsque la demande d’égalité a recommencé à se faire entendre jusque sur les plateaux de télévision, une nouvelle invention langagière est revenue verrouiller le débat : le « vivre ensemble » et l’ « ouverture à la diversité » ont fait leur apparition ;
Il en va de même pour la thématique du « refus de la repentance », apparue en réaction à la montée en puissance des discours sur le caractère intrinsèquement oppressif et criminel, donc illégitime, de la colonisation, et à l’émergence de collectifs mettant en cause le poids de l’héritage colonial dans la société française contemporaine ;
Il en va de même enfin pour la notion d’ « intégrisme », popularisée essentiellement comme un contre-feu face à la visibilité grandissante d’une génération de musulman-e-s décomplexé-e-s et en demande de respect, ou pour la prétendue « nouvelle judéophobie », ou encore pour le prétendu « choc des civilisations », contre-feux à la montée en puissance d’une contestation de la politique israélienne et américaine…
MÉDIAS ET POUVOIRS
Du travail sur ces différents combats linguistiques s’est dégagé un autre constat important, qui nous distingue de certaines formes de critique des médias, celle par exemple d’ « Arrêt sur images », à nos yeux superficielles ou dépolitisées. Ce constat est le suivant : les médias que nous critiquons sont les médias dominants, et de ce fait, leur langue spontanée n’est au fond pas la leur. La langue première des médias dominants n’est pas la langue des médias mais la langue des dominants : c’est la langue du « MEDEF », la langue des préfectures de police ou du ministère de l’Intérieur, la langue de « Tsahal » ou du « Pentagone »… C’est dans ces lieux extra-médiatiques que sont inventés les « réformes » et les « modernisations », les « plans sociaux » et les « plans de sauvegarde de l’emploi », les « clandestins » et les « reconduites à la frontière », les « violences urbaines » et les « interventions musclées », les « bavures » et leurs victimes « bien connues des services de police », le « terrorisme » et la « guerre au terrorisme »->545], les incursions, les frappes et autres opérations de défense du territoire…
Nos grands médias portent en somme bien leur nom puisqu’ils ne sont en la matière rien d’autre que des instances de médiation, qui assurent la diffusion massive, au sein de la société civile, d’une langue qui n’est au départ que le jargon d’un tout petit nombre. Une critique des médias conséquente est donc à nos yeux indissociable d’une critique sociale plus fondamentale : la critique de l’ordre dominant – un ordre qui, le plus souvent, se construit et invente sa langue ailleurs que dans les sphères médiatiques.
Ce texte est extrait du recueil « Les mots sont importants – 2000 /2010 », qui vient de paraître aux éditions « Libertalia ».
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